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PRCF 66, adhérent du Pôle de Renaissance Communiste en France

30/09/65 : Un massacre occulté en Indonésie

1 Octobre 2014 , Rédigé par PRCF 66 - Pyrénées Orientales Publié dans #INTERNATIONAL

30/09/65 : Un massacre occulté en Indonésie30/09/65 : Un massacre occulté en Indonésie

30 septembre 1965. Cette date ne vous dit sans doute rien. C’était un jeudi. Un jeudi noir ou commença, en Indonésie, un des plus grands massacres de masse du XXe siècle. De 1 à 3 millions de personnes exécutées. Sans compter les emprisonnés par millions, les déportés, les torturés et les viols de masse ainsi que tous ceux qui, jusqu’à maintenant encore, seront privés de leurs droits.

Qui, ici en France, en a entendu parler ? Quels médias en parlent ? Personne.

Pourtant, au mois d’octobre 1965 la presse occidentale – presse dite « libre » en parle. Jugez plutôt :

Times Magasine : « The West’s best new for years in Asia »  » La meilleure nouvelle pour le camp occidental depuis des années ».

US News & World Report  » Indonésie : de l’Espoir, là où il n’y en avait plus » 

New York Time cette fois : « With 500000 to a million communist sympathisers knocked off…I think it’s safe to assume a reorientation has taken place. » et  Harold Holt premier ministre australien. « avec 500 000 à 1 million de communistes au tapis… je pense que l’on peut sans se tromper affirmer qu’une réorientation a eu lieu ».

Car oui, ce massacre dont on ne parle jamais en France ni dans aucun pays occidental, c’est le massacre de 1 à 3 millions de communistes ou supposés tels en Indonésie à l’automne 1965, et ce avec l’assentiment et le soutien de l’Ouest.
Pas une ligne dans nos programmes scolaires qui s’intéressent pourtant au 20e siècle, comme siècle des totalitarismes. Pas un mot sur ce quasi génocide et la dictature sanglante de l’Ordre Nouveau qui a suivi.
Dans les années 1960, l’Indonésie de SOEKARNO, après avoir été le pays chef de file des non-alignés (organisateur de la conférence de Bandung), se rapproche du bloc socialiste.
Le parti communiste indonésien (PKI) est alors le troisième plus grand parti communiste du monde. Fort de plusieurs millions d’adhérents et sympathisants, participant direct au combat pour l’indépendance du pays, le PKI est alors un des piliers de la république d’Indonésie dirigée par Soekarno. PNI et PKI constituent une force puissante lui permettant de contrebalancer celles des réactionnaires (islam politique ainsi qu’une bonne partie de l’armée) et de s’affranchir ainsi de plus en plus à la prédation des capitalistes occidentaux.

Le camp de l’Ouest subit, à ce moment là, défaites sur défaites. Notamment au Vietnam ou l’armée américaine s’enlise, écrasant les Vietnamiens sous des tonnes de napalm et d’agent orange. Dès 1963, inquiète de la force croissante du PKI, de l’évolution vers la gauche du PNI (parti de Soekarno) et du rapprochement vers le camp socialiste de l’Indonésie, Washington commence à constituer des listes de communistes indonésiens via son ambassade de Jakarta. (La tradition de fichage révélée à nouveau par Snowden n’est donc pas nouvelle et nous verrons que nous devons réellement nous en inquiéter).

Dans la nuit du 30 septembre 1965, un curieux mouvement dit du 30 septembre tente un coup d’état. Les événements demeurent assez mal connus, 40 ans de dictature ayant forgé une version officielle très éloignée des faits.
Ce coup d’état militaire conduit par un colonel de la garde présidentielle prétend contrecarrer la confiscation d’un « comité de généraux » et rétablir le pouvoir de Soekarno. Une partie du haut commandement de l’armée est exécutée (6 généraux) dans la nuit du 30 septembre.

Soekarno est conduit en fin de nuit par la garde présidentielle a à la base aérienne d’Halim, base de l’armée de l’air réputée proche du PKI. Soekarno déclare prendre personnellement le contrôle de l’armée et nomme un proche le général Yani, Chef d’état major.

Aidit leader du PKI y est également amené par les conjurés au prétexte qu’il est menacé par un complot de la CIA. Aidit réaffirme alors son soutien à Soekarno. Dès le 1er octobre, Aidit rejoint Jogjakarta (centre est du pays) où il participe à désamorcer le coup d’état. Dans la nuit du 1er au 2 octobre, le principal quotidien du PKI condamne fermement toute tentative de coup d’état, dans un éditorial reflétant le manifeste manque d’information dont il dispose :

« le déclenchement d’un coup d’état est un acte condamnable et contre révolutionnaire » (1)

Dans la nuit du 30, le général SUHARTO en charge de la force de réserve stratégique de l’armée de terre (réputée proche des Etats-Unis, ces derniers ayant participé avec la Grande Bretagne à la formation et l’équipement de l’armée de terre violemment anti-communiste, elle l’avait prouvé en 1948 lors d’un premier massacre de communistes à Madium) singulièrement laissé à l’écart de la purge visant la tête de l’armée, prend le contrôle des forces armées. Et ce d’autant plus facilement, que le 5 octobre doit se tenir à Jakarta la journée des forces armées, et que donc l’ensemble des Divisions des forces armées son représentées à Jakarta par un bataillon.

Dès le 3 octobre, l’armée lance une violente campagne anti-communiste, attribuant malgré les évidences la responsabilité du coup d’état au PKI. Le 5/10 la chasse aux communistes commence à Jakarta, alors que ce même jour le comité central du PKI réaffirme son soutien à Soekarno et que le mouvement du 30 septembre est une affaire intérieure à l’armée.

Les listes de communistes établies par l’ambassade américaine sont transmises à l’armée. Les USA notamment, soutiennent alors l’armée dans ses massacres par la fourniture d’armes et d’équipements de communication ainsi qu’un soutien financier (2). Selon des révélations du Washington Post de 1990, les autorités américaines suivent méthodiquement les exécutions (3). En 1966, l’ambassadeur US à Jakarta a rassuré Suharto que « les États-Unis voient plutôt d’un bon œil et admirent ce que l’armée est en train de faire » . L’ambassadeur britannique, Sir Andrew Gilchrist, a rapporté au Ministère des Affaires Etrangères britanniques : « Je n’ai jamais caché que je pense que quelques pelotons d’exécution en Indonésie seraient un préliminaire indispensable à tout changement réel. » (4) Ou encore toujours en 1966 M Stewart ministre britannique des affaires étrangères louant « la politique économique raisonnable » de Suharto.

Durant la fin de l’année 1965 et les premiers mois de l’année 1966, les communistes et assimilés sont méthodiquement éliminés, des millions de personnes soupçonnées d’être communistes sont arrêtés, déportées, violés et torturés. Ceux qui survivent à la détention et sont libérés restent fichés comme prisonniers politiques (Tapol), privés à vie de leur droits.
Le nombre de tués est si élevé que certaines rivières déversent pendant des jours entiers les milliers de corps qui y ont été jetés.

La chape de plomb de la dictature de SUHARTOl’Ordre Nouveau, s’abat sur l’Indonésie. L’histoire des événements d’octobre est réécrite pour justifier le massacre des communistes, et une chasse aux forces progressistes qui ne cessera pas durant les 30 ans de pouvoirs de Suharto. A partir des années 1980, tous les ans un film de propagande est projeté à tous les enfants dans les écoles, à la télévision, bourrage de crâne attribuant la responsabilité du coup d’état aux communistes et les accusant d’avoir commis les pires horreurs et d’instiller ainsi profondément l’anticommunisme dans les esprits (Dokumentasi Gerakan G30S PKI).

Ne nous trompons pas, ce massacre génocidaire, cet holocauste des communistes et plus largement la répression de toutes forces progressistes doivent être considérés comme le vrai visage de ce qu’est le capitalisme. Nous avons vu le soutien sans faille apporté par les puissances occidentales, ces puissances dites du monde libre trépignant de joie devant un massacre qu’elles appuient. Le régime de Suharto, les massacres, la répression sont directement l’enfant du capitalisme. Face à une Indonésie fermant de plus ses portes au capitalisme, une classe des travailleurs contestant sérieusement l’oligarchie et les impérialismes capitalistes, les forces capitalistes ont agi comme elles agissent toujours dans ces cas là.

Dès novembre 1967 d’ailleurs, les pays occidentaux récoltent les fruits juteux du régime qu’ils viennent de contribuer à installer. Ce pays extrêmement riche en ressources naturelles est mis en coupe réglée lors d’une conférence à Genève. General Motors, Imperial Chemical Industries, British Leyland, British-American Tobacco, American Express, Siemens, Goodyear, the International Paper Corporation, US Steel… sont représentées. Il faut dire que l’Indonésie offre désormais outre ses ressources, une main d’œuvre taillable à merci puisque privée de tous moyens de contestation par une répression féroce. Dès le coup d’état une loi est votée dispensant pendant 5 ans les entreprises bénéficiaires de ce pillage organisé de tous impôts. L’économie du pays est directement mise dans les mains des Chicago Boys, à travers le FMI et à la Banque Mondiale et son Inter-Governmental Group on Indonesia (IGGI), dont les principaux membres étaient les Etats-Unis, le Canada, l’Europe et l’Australie. Un décret interdit le communisme. Et cela fait des décennies qu‘écrire les simples mots « classe ouvrière » peut conduire à 12 ans de prison pour « propagande communiste ».
La classe capitaliste occidentale a su d’ailleurs défendre avec constance la dictature de l’Ordre Nouveau, telle un de ses portes paroles les plus émérites Margaret Thatcher déclarant au sujet de Suharto :

« One of our very best and most valuable friends » ( Un de nos tous meilleurs amis et de la plus grande valeur )

Quelques années plus tard, le Chili d’Allende connaîtra lui aussi une intervention semblable. N. Klein dans son livre Thérapie du Choc a d’ailleurs fort bien documenté les similitudes de ces interventions des impérialismes occidentaux, ou la violence et l’institution de régimes fascistes participent directement à l’écrasement total et complet pour des décennies des forces progressistes pouvant s’opposer au vol des richesses des travailleurs par l’oligarchie capitaliste.

Avec la crise des pays asiatiques, le pouvoir de Suharto tombe en 1998. Il quitte le pouvoir après s’être considérablement enrichi. Il ne sera jamais jugé. Le pouvoir qui lui succède, ne reconnaît toujours pas les massacres. Si une commission d’enquête a été constituée, elle est suspendue par la cour suprême, les forces du régime de Suharto continuant à tenir une place prééminente au pouvoir.Aucun des crimes de cette époque ni des crimes commis durant la période de l’Ordre Nouveau n’ont été punis. Pire, la célébration de ces massacres n’a pas cessé. Les forces réactionnaires – islamistes et militaires – continuent à peser de tout leur poids pour continuer la répression anticommuniste.

Le documentaire de J Oppenheimer « The Act of Killing » montre cela d’une façon particulièrement implacable. Ce film, le premier à avoir pu être tourné en Indonésie sur le sujet, n’a pu l’être que sous la forme du making of d’un film célébrant en héros des tueurs lors de ce génocide. Encensé par la critique, ce documentaire a reçu de nombreux prix. Il n’a pourtant été diffusé en France que dans quelques salles d’art et essai. Pluralisme et liberté d’expression, défense des droits de l’homme sont, il est vrai, des valeurs essentielles de nos « démocraties » capitalistes…

Dans les années 1980, Hollywood tourna un film avec Mel Gibson accréditant la version officielle de Suharto que le 30 septembre 1965 était un coup d’état communiste. Sélectionné à Cannes, le film rapporte plus de 10 millions de dollars au box office américain (0,2 pour The Act of Killing…).

Au-delà de l’horreur et de l’ampleur de ces massacres et de la répression continue qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours, au-delà de la revendication que nous devons tous avoir que justice soit rendue à ces innombrables victimes, que la répressions cesse, alors qu’un anticommunisme toujours aussi féroce instillant comme en Indonésie dans les esprits que communisme = totalitarisme et que capitalisme = droits de l’homme, en ces jours anniversaires de ces horribles événements – qui n’en doutons pas ne donneront lieu à aucune commémoration d’aucune sorte dans nos médias « libres » généreusement financés par des mécènes tels que Bolloré, Dassault Lagardère et autre Bouygues autre qu’un entre filet sur la consécration de Miss France comme 2e dauphine de Miss Univers à Bali – la mémoire de ces dernières décennies tragiques en Indonésie fait éclater auprès de chaque citoyen le mensonge de ce raccourci, et voler en éclat le terrorisme de la pensée posant le camps de l’ouest comme celui de la liberté alors que celui de l’est serait celui des 100 millions de morts.

Oui, le capitalisme rien que dans la seconde moitié du 20e siècle, c’est plusieurs génocides et boucheries sur boucheries. Brecht disait « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ». 20 ans après le procès de Nuremberg, tout en écrasant le Vietnam sous une pluie de napalm, le capitalisme récidive en Indonésie, soutient le génocide cambodgien de son protégé Pol Pot, écrase l’Amérique latine sous ses escadrons de la mort, alimente les génocides africains de la région des grands lacs….

Si les idées dominantes sont celles de la classe dominante, l’histoire dominante est également celle de la classe dominante. Au moment où le capitalisme remondialisé est à nouveau secoué par une de ses violentes crises systémiques, à l’heure où les peuples sont à la recherche d’alternatives sachons nous souvenir que le capitalisme conduit implacablement au fascisme et à la barbarie.

Ces dernières années, 15 ans après la chute de Suharto, des syndicats ré-émergent en Indonésie, organisant la classe ouvrière et conduisant régulièrement des grèves parfois considérablement suivie notamment dans l’industrie.

Ci-après Gendger Gendger, chanson interdite, symbole des organisations féministes Gerwina proche du PKI, Bella Ciao indonésien.

 

Notes et références:
(1) Harian Rajkat dans la nuit du 1er au 2 octobre.
(2) Telegram From Embassy in Thailand to Department of State, November 5, 1965 ; reply, November 6, 1965 ; available at http://www.state.gov/r/pa/ho/frus/johnsonlb/xxvi/4446.htm ; Historian Claims West Backed Post-Coup Mass Killings in ’65. The Jakarta Globe. Retrieved on 25 December 2010 ; Simpson, Bradley. Economists with Guns : Authoritarian Development and U.S.-Indonesian Relations, 1960-1968. Stanford University Press, 2010. ISBN 0804771820 ;
(3) « Toujours selon les révélations du Washington Post, les listes dressées par les fonctionnaires américains ont concerné des milliers de personnes, « allant des responsables communistes indonésiens, depuis les échelons supérieurs jusqu’aux cadres locaux dans les villages ». Ces listes ont, par la suite, été remises aux militaires indonésiens pour perpétrer leurs massacres. En retour, l’ambassade recevait des putschistes la liste des personnes assassinées, permettant « un pointage systématique par la direction de la CIA à Washington, des exécutions qui avaient été menées à bien ». « Vers la fin de janvier 1966, les noms rayés sur les listes étaient si nombreux que les analystes de la CIA ont conclu à la destruction de la direction du PKI », a expliqué au journal Joseph Lazarsky, ancien chef adjoint de la CIA en Indonésie. Le quotidien précise qu’il n’a jamais pu être prouvé que les communistes indonésiens aient été impliqués dans l’assassinat des généraux. Tout au long des trente-trois années de dictature, la répression n’a jamais faibli. » http://www.gauchemip.org/spip.php?article495

(4) http://www.inminds.co.uk/globalisation-in-indonesia.html John Pilger Juillet 2001

Sources :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1966_num_31_5_2198

Et surtout cet excellent article de D Bari dans l’Humanité : http://www.gauchemip.org/spip.php?article495 ainsi que http://www.gauchemip.org/spip.php?article17236 de John Pilger

Et pour les anglophones, la rubrique francophone de Wikipedia se résumant elle à seulement 10 malheureuses lignes : http://en.wikipedia.org/wiki/Indonesian_killings_of_1965%E2%80%9366
http://www.theguardian.com/commentisfree/2008/jan/28/indonesia.world
« Indonésie », Rapport d’Amnesty International, 1977.

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